Rencontre avec Chantal Montellier

Debout les damnées du crayon!!!
Debout les damnées du crayon!!!

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Dans cette dystopie de Chantal Montellier, le « radeau démocratique » a depuis longtemps coulé et la société d’hyper-consommation a atteint ses limites.

Sur fond de couvre-feu, d’état d’urgence et de montée des extrémismes, un couple très « upper middle class », Thérésa et Jean, se rend chez des amis pour y passer la soirée. Ils s’arrêtent pour chercher un cadeau à Shelter Market, un centre commercial souterrain, qui peut aussi faire office d’abri anti atomique. À peine sont-ils entrés dans ce bunker de la consommation que des sirènes retentissent. Une voix leur annonce qu’un bombardement nucléaire vient d’avoir lieu. Les lourdes portes blindées du Shelter Market, se sont refermées sur les centaines de clients présents dans les galeries marchandes. Très vite, la direction du centre met en marche le plan de survie, avec l’aide des nombreux vigiles présents sur les lieux. On assure aux clients qu’ils peuvent s’estimer heureux de leur sort : ils seront abrités et nourris gratuitement jusqu’à ce que la vie redevienne possible à l’extérieur. La clientèle, désormais captive, se doit donc de garder le sourire en toutes circonstances. « Be happy ! », proclame un clown hilare, sosie de celui des Mac Do. Les livres et les films démoralisants ou jugés « toxiques » sont peu à peu retirés de la circulation. C’est « un autodafé sans feu », constate Thérésa, chargée de la librairie transformée en bibliothèque. Face aux abus de pouvoir et autres dérives fascisantes, Thérésa, Jean et quelques autres personnes finissent par réagir…  Un doute commence à s’insinuer quant à la réalité de l’explosion atomique. Et si tout cela n’était qu’une manipulation de plus ? Une expérience radicale… celle de la survie après le grand chambardement ?

Plus que jamais le message de Chantal Montellier est d’actualité. Son cri contre la normalisation consumériste et l’État policier prend ici une nouvelle dimension.

Mais Chantal-la-pessimiste, tout en renouvelant son trait, son style et sa gamme de couleurs, prend manifestement beaucoup de plaisir à nous faire peur. Le dynamisme et la beauté de son album sont des antidotes à la noirceur de son propos.

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Chantal Montellier : Debout les damnées du crayon !!!

Chantal Montellier devrait être une artiste reconnue tant son travail depuis plus de 40 ans en bande dessinée est important. Mais finalement elle reste plutôt méconnue du grand public, ses albums anciens ne sont pas toujours disponibles et surtout son engagement militant très fort et une parole libre n’aide pas à la reconnaissance médiatique.

Chantal a démarré sa carrière au début des années 70. Après avoir obtenu le Diplôme National des Beaux-Arts section peinture à Saint-Etienne (première école des Beaux Arts à cette époque) et avoir fait un bref passage par l’Éducation Nationale, elle commence à publier des dessins politique dans la presse d’extrême gauche: Combat syndicaliste (organe de la CNT), L’humanité puis Politis, Le monde, Marianne… Elle est à ce titre la première femme dessinatrice de presse politique dans un domaine principalement réservé aux hommes (ses consœurs exerçant plutôt leur talent dans l’illustration). Le milieu de la presse est peu différent de ce qui se passe dans le monde du 9e Art et plus généralement dans cette société qui sort juste de Mai 68 et qui reste encore principalement dirigée par des hommes.

Elle aborde la bande dessinée à travers les publications de l’époque: Charlie Mensuel (1974), Métal Hurlant ou la revue trimestrielle Ah! Nana (9 numéros de 1976 à 1978) réalisée par des femmes pour un lectorat féminin. Elle participe à cette aventure éditoriale, expérimentale et avant-gardiste unique en France, dans le prolongement des luttes récentes pour la reconnaissance du droit des femmes. Sans tabous, avec un ton résolument offensif, le magazine aborde des sujets dont on ne parle pas dans la société giscardienne: la sexualité des femmes, les violences, l’inceste… mais fort heureusement Anastasie et ses grands ciseaux veille. Le titre est interdit pour pornographie (une pornographie qu’il n’a jamais contenu) dès le numéro 7, le numéro suivant qui traite d’homosexualité connaîtra le même sort et le numéro 9 sur l’inceste est immédiatement censuré ce qui provoque la mort du titre et la fin de l’aventure.

Son premier album est publié en 1978 aux Humanoïdes Associés sous le titre 1996 (dystopie orwelienne aujourd’hui en partie réalisée). Il préfigure déjà le style Montellier : une bande dessinée adulte, combattante qui dénonce les formes multiples d’un système basé sur l’avilissement, l’enlaidissement et l’écrasement du citoyen, de la femme, de l’artiste.

Dans ses bandes dessinées, Chantal Montellier s’attaque avec un militantisme sans concession aux bavures policières ( la série Andy Gang dès 1979 ), au terrorisme d’État (Le sang de la commune 1982 Ed Futuropolis ; Les damnés de Nanterre 2005 Ed Denoel Graphique), au viol (Odile et les crocodiles 1983 ed Les humanoïdes réédité chez Acte Sud/l’an 2 en 2008), à la désinformation orchestrée par nos dirigeant qui provoque des victimes innocentes (Tchernobyl, mon amour, 2006 Actes Sud).

En 2007, elle fonde avec une autre bédéaste, Jeanne Puchol, l’association Artémisia. Référence marquée, historique, à cette artiste italienne du XVIIe: Artémisia Gentileshi devenue icône féministe. C’est la première femme peintre reconnue, répertoriée par l’Histoire de l’Art, mais aussi une victime de la violence des hommes (violée à son adolescence, elle subira l’humiliation d’un procès).

Depuis 10 ans, l’association œuvre pour la visibilité du travail des femmes dans la bande dessinée par tous moyens.

Le prix Artémisia est remis chaque année en janvier, privilégiant les talents un peu plus singuliers, plus personnels que cette bande dessinée trop convenue, trop consensuelle et trop commerciale qui inonde le marché “Girly”.

La prochaine lauréate recevra son prix le 12 janvier prochain dans la bibliothèque de la Fondation René Dumont (Agro-ParisTech-Musée du vivant).

Chantal Montellier a une vraie œuvre, sincère, puissante et militante, avec un immense talent graphique qui participe, depuis des décennies, à la lutte contre la connerie humaine et l’abrutissement des masses. A lire et relire sans modération.

Christophe

Groupe Gaston Couté (Le Monde Libertaire)

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